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Racines

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Maryne Dumaine

En ces temps où les tensions économiques s’intensifient et où l’incertitude plane comme un vent froid sur nos horizons, il devient plus essentiel que jamais de se tourner vers ce qui nous ancre, ce qui nous permet de tenir debout. Nos racines.

Cultiver ses racines, c’est puiser dans la profondeur de notre histoire pour continuer à grandir.

Au Yukon, nous prenons souvent conscience de nos racines. Loin des lieux où nous avons grandi, loin de ces environnements qui ont créé une bonne partie de notre identité, beaucoup d’entre nous trouvent un certain réconfort dans les choses qui, telles des madeleines de Proust, font revivre des émotions lointaines.

Pour ma part, ce sont mes racines qui m’ont amenée à me rapprocher de la francophonie, quand je suis arrivée au Yukon il y a plus de 20 ans. À l’époque, j’avais traversé deux continents, sac au dos, avec une conviction : je ne voulais pas me rapprocher des « Français ». Qu’ils ou elles soient de France ou d’ailleurs, j’avais développé une aversion pour la langue française et sa culture. J’évitais du mieux possible les groupes dans les auberges de jeunesse où j’entendais la langue de Molière.

Et pourtant… 20 ans plus tard, je dirige le journal francophone dont l’objectif est d’informer, d’inspirer et d’unir la communauté francophone au cœur du Yukon.

Comment est arrivée cette ironie du sort? C’est la faute d’Edith Bélanger! À cette époque existaient les projections de films Ciné-France, organisées par le secteur culturel de l’AFY, qu’Edith gérait. Chaque mois, quelques irréductibles se rassemblaient dans la salle communautaire pour regarder un film de France, parfois sous-titré en anglais, sur un grand écran. Bon, le son n’était pas surround et l’image était loin d’être en haute définition. Mais la magie a opéré : ici, en plein cœur du bout du monde, il y avait ça. Un peu de ma culture. Je n’y retrouvais pas « des Français ». J’y retrouvais des émotions en entendant un accent, une bande originale qui me rappelait mon enfance, la vue de paysages familiers. Sans le savoir, j’y retrouvais un peu… de mes racines.

C’est à ce moment-là que j’ai compris que plus je partirais loin, plus mes racines grossiraient, telles celles d’un arbre dont on coupe les branches pour obtenir plus de lumière. Plus on les coupe, plus ses racines encombreront le sol : terrasse en pierre ou fondation de maison, rien ne peut résister à la force de telles racines.

L’histoire francophone au Canada est comme cet arbre : c’est une histoire de résilience. Si on tente de priver l’arbre de sa parure pour éviter d’en prendre de l’ombre, il se rattrapera par ailleurs, avec encore plus de force et de vigueur.

Aujourd’hui, alors que le monde vacille sous le poids de guerres tarifaires, et que les économistes jouent à Madame Irma, nous devons nous rappeler que nous n’en sommes pas à nos premières tempêtes. Et toujours, ce qui a été gagnant, ce n’est pas l’isolement et l’exclusion, mais la solidarité, le partage et la collaboration. Ce n’est pas la peur, mais la transmission qui permet de continuer d’avancer.

Derrière nos langues, il y a des histoires. Que ce soit pour le français ou pour les langues autochtones d’ailleurs. En choisissant notre langue du quotidien, on choisit aussi une façon de voir le monde, une manière de se raconter et de se lier aux autres. Que ce soit en demandant d’ajouter un accent à notre prénom sur une carte de santé, en allant à une activité de danse folklorique, en jouant à l’impro ou en chantant des chansons, par notre langue, nous connectons.

Le thème « Cultive tes racines », de l’édition 2025 des Rendez-vous de la francophonie, c’est une invitation à offrir une place dans notre histoire commune à chaque racine qui soutient notre beau jardin franco-yukonnais, dans cette terre qui ne demande qu’à être nourrie de diversité et d’échanges.

Il y aura toujours des crises. Il y aura toujours des périodes d’instabilité, de doutes, de replis. Mais il y aura aussi toujours, si nous le décidons, des raisons d’espérer, des mains tendues, des histoires partagées autour d’une table, des danses carrées et des chansons qui résonnent dans les centres culturels, comme ce fût le cas le 3 mars dernier au Centre culturel des Kwanlin Dün, lors du spectacle Chante-la ta chanson.

Face à l’incertitude de notre environnement, nous avons le choix, en tant que communauté, de renforcer ce qui nous lie. Cultiver ses racines, c’est comprendre d’où l’on vient pour solidifier nos bases, mais c’est aussi voir et découvrir les racines des autres, pour mieux accueillir les nouvelles plantes.

Plus que jamais, en ce Mois de la francophonie, voyons collectivement que notre force ne se situe pas dans nos frontières, mais dans les liens qui nous unissent, ici et maintenant, en tant que communauté.

Bonne lecture!


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